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jour et qu’ils fussent toujours contradictoires, il était si entraînant que nous l’écoutions attentivement et Lubotchka, sans remuer les paupières, regardait, bec ouvert, les lèvres de papa, pour ne pas perdre une seule de ses paroles. Tantôt son plan était de nous faire rester à Moscou à l’Université, et de partir, lui, avec Lubotchka, en Italie pour deux années ; tantôt d’acheter une propriété au sud de la Crimée et d’y séjourner chaque été ; tantôt d’aller vivre à Pétersbourg avec toute sa famille, etc. Mais outre sa gaieté extraordinaire, ces derniers temps, se montrait en papa, un changement, qui m’étonnait beaucoup. Il s’était fait faire un costume à la mode. L’habit olive, le pantalon à sous-pieds, et par dessus une longue redingote qui lui allait très bien ; souvent il employait de bons parfums quand il allait dans le monde et surtout chez une dame dont Mimi ne parlait jamais sans un soupir et sans une expression du visage qui signifiait : « Pauvres orphelins ! La malheureuse passion ! Heureusement qu'elle n’est pas là », etc. Je savais par Nikolaï, puisque papa ne nous parlait jamais de ses affaires de jeu, qu’il avait été remarquablement heureux cet hiver, qu’il avait gagné beaucoup, beaucoup, puis placé son argent dans le Lombard et qu’au printemps, il ne voulait plus jouer ; c’est sans doute par crainte de ne pouvoir se retenir qu’il voulait aller le plus vite possible à la campagne. Il décida même, sans attendre mon entrée