Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol2.djvu/255

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

saient modestement des professeurs, des sciences, des examens, en général de sujets sérieux et intéressants. Tous sans exception regardaient la porte du buffet, et bien qu’ils fissent leur possible pour le cacher, leur expression disait : « Eh bien, il est temps de commencer. » Je sentis, aussi qu’il était temps de commencer et avec impatience j’attendis le commencement.

Après le thé que les valets servirent aux invités, l’étudiant de Derpt demanda à Frost, en russe :

— Sais-tu faire le punch, Frost ?

O ja — répondit Frost, en agitant ses mollets ; mais l’étudiant de Derpt lui dit encore en russe :

— Alors charge-toi de cette besogne (ils se tutoyaient comme anciens étudiants de l’Université de Derpt). Frost, faisant de grands pas avec ses jambes arquées et musclées, commença à marcher du salon au buffet et du buffet au salon, et bientôt, sur la table apporta une grande soupière et un pain de sucre de dix livres et croisa au-dessus de la soupière trois épées. Pendant ce temps le baron Z… s’approchait sans cesse de tous les invités réunis au salon et regardant la soupière avec une mine sérieuse demandait à tous à peu près la même chose : « Eh bien, messieurs, buvons tous à l’étudiant, en cercle, bruderschaft[1], car dans notre

  1. La coutume des étudiants allemands est de boire ensemble, pour se tutoyer ensuite.