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provenait d’une autre cause. Aussitôt que je sentis que les camarades commençaient à être bien disposés pour moi, tout de suite je leur fis savoir que je dînais chez le prince Ivan Ivanovitch, que j’avais mes drojki. Je dis tout cela pour me mettre sous le jour le plus avantageux et pour que les camarades m’aimassent davantage ; mais au contraire, à cause des informations sur ma parenté avec le prince Ivan Ivanovitch et sur mes drojki, à mon grand étonnement, les camarades devinrent tout à coup orgueilleux avec moi et froids.

Il y avait un étudiant boursier, Operov, un jeune homme très modeste, très capable et très laborieux, qui tendait toujours la main comme une planche, sans plier les doigts, sans la mouvoir d’aucune façon, si bien que les camarades, en plaisantant, parfois tendaient la main de la même manière et appelaient cela « tendre la main à la planchette. » Presque toujours je m’asseyais près de lui et souvent nous causions. Operov me plut surtout par les libres opinions qu’il exprimait sur les professeurs. Il définissait avec clarté et justesse les qualités et les défauts de chacun d’eux, et même parfois les raillait. Ce qui me semblait le plus drôle et agissait le plus sur moi, c’est qu’il disait cela de sa petite voix basse sortant de sa bouche minuscule. Toutefois, malgré cela, de sa fine écriture, il prenait soigneusement tous les cours sans exception. Déjà je commençais à me rapprocher de lui,