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part. Elle, c’était un peu Sonitchka, un peu Macha, la femme de Vassili, au moment où elle lavait le linge dans le baquet, et un peu une femme dont un collier de perles entourait le cou blanc et que j’avais vue au théâtre, il y avait très longtemps, dans une loge voisine de la nôtre. Le deuxième sentiment, c’était l’amour de l’amour. Je voulais que tous me connussent et m’aimassent. Je voulais prononcer mon nom, Nikolaï Irteniev, et que tous en fussent frappés, et m’entourant, me remerciassent pour quelque chose. Le troisième sentiment, c’était l’espoir d’un bonheur extraordinaire, ambitieux, espoir si fort et si tenace qu’il atteignait parfois jusqu’à la folie. J’étais si convaincu qu’avant peu, grâce à un hasard extraordinaire, je deviendrais l’homme le plus riche et le plus célèbre du monde entier, que je me surprenais sans cesse dans l’attente troublante de quelque chose d’heureux, de magique. Il me semblait toujours que cela commençait, que j’allais atteindre tout ce que peut désirer un homme et partout et toujours, je me hâtais, supposant que cela commençait là-bas où je n’étais pas. Le quatrième sentiment, et le principal, c’était le dégoût de moi-même et le regret, mais le regret se confondant à un tel point avec l’espoir du bonheur, qu’il n’avait plus rien de triste. Il me semblait si facile, si naturel de me détacher de tout le passé transformé, d’oublier tout ce qui était et de com-