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sible et peut-être rentrant dans son cabinet, mit-il exprès son vêtement le plus sale et fit-il savoir au cuisinier qu’il ne s’avisât point de rien ajouter au dîner, même si les dames l’ordonnaient.

Dans la suite, j’ai vu souvent papa et Epifanov ensemble, c’est pourquoi je me représente si vivement ce premier rendez-vous. Je m’imagine comment, malgré la proposition pacifique de papa, Piotr Vassilievitch resta sombre et fier, parce que lui avait sacrifié son avenir à sa mère et que papa n’avait rien fait de semblable ; comment rien ne l’étonnait, et comment papa, sans avoir l’air de remarquer cette gravité, se montrait gai, frivole, et le traitait comme un étonnant gaillard, ce dont Piotr Vassilievitch s’offensait parfois, et ce que, malgré tout, papa ne pouvait s’empêcher de faire.

Papa, avec son penchant à s’amuser de tout, appelait Piotr Vassilievitch, je ne sais pourquoi, colonel, et bien qu’une fois, devant moi, Epifanov bégayant plus fort qu’à l’ordinaire objecta, en rougissant de dépit, qu’il n’était pas co-co-co-lonel, mais lieu-lieu-lieu-tenant ; papa, cinq minutes après, l’appela de nouveau colonel.

Lubotchka me raconta qu’avant notre arrivée à la campagne elle voyait chaque jour les Epifanov et que c’était très gai. Papa, avec son habileté à tout arranger avec originalité et agrément, bien qu’avec simplicité et élégance, organisait tantôt une chasse, tantôt une pêche à la ligne, tantôt un