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et une ressemblance avec tous les caractères des héros et des malfaiteurs de chaque roman, comme un homme craintif, en lisant un livre de médecine, trouve en lui les indices de toutes les maladies. Dans ces romans, les idées fines, les sentiments ardents, les événements surnaturels, et les caractères excessifs me plaisaient : bon, alors tout à fait bon ; méchant, alors tout à fait méchant, comme je m’imaginais des hommes de la première jeunesse. Ce qui me charmait beaucoup, beaucoup, c’est que tout cela était en français et que je pouvais garder dans ma mémoire, pour m’en servir à l’occasion, dans une belle affaire, les paroles nobles que prononçaient les nobles héros. Avec l’aide de ces romans, combien inventais-je de belles phrases françaises pour M. Kolpikov, si jamais je le rencontrais, et pour elle quand je la rencontrerai enfin, et lui déclarerai mon amour ! Je me préparais à leur dire de telles choses qu’ils seraient tués en m’écoutant. Avec les romans, chez moi, se développa un nouvel idéal des qualités morales que je voulais acquérir. Avant tout je voulais être noble dans toutes choses et dans tous mes actes (je dis noble en français et non en russe, parce que le mot français a un autre sens, ce que les Allemands ont compris en adoptant le mot nobel et en ne confondant pas avec lui — la conception représentée par le mot ehrlich[1], après, être passionné, et enfin, ce à quoi, j’étais

  1. Honnête