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prendre les octaves de la main gauche en écartant rapidement le petit doigt et le pouce, de la largeur de l’octave, ensuite lentement les rapprochant, et de nouveau les éloignant rapidement, me plurent beaucoup. Son geste gracieux, sa pose négligée, l’agitation de ses cheveux et l’attention que les dames accordaient à son talent, me donnèrent l’idée de jouer du piano. Grâce à cette idée, et convaincu d’avoir du talent et la passion de la musique, je me mis à étudier. En cela j’ai agi comme le font des milliers de personnes, hommes et femmes qui étudient sans un bon professeur, sans vraie vocation et sans la moindre idée de ce qu’est l’art et de ce qu’il faut faire pour qu’il donne quelque chose. Pour moi, la musique ou plutôt le piano était un moyen de charmer les demoiselles par ma sentimentalité. Avec l’aide de Katenka j’appris les notes et en cassant un peu mes gros doigts, ce à quoi j’employai deux mois d’un tel zèle que même pendant le dîner et au lit, sur les genoux et sur l’oreiller je travaillai l’annulaire peu obéissant, je commençai aussitôt à jouer des morceaux et sans doute avec âme, ce que Katenka avoua elle-même, mais tout à fait sans mesure.

Le choix des morceaux est connu — valses, galops, romances, arrangements, etc., — le tout provenant de ces charmants compositeurs dont tout homme un peu sensé, choisissant les œuvres chez un marchand de musique et les mettant en