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leur amour à l’objet de l’amour lui-même et à tous ceux qui n’ont aucun intérêt à cet amour. Dans notre pays, les personnes d’une certaine classe qui aiment esthétiquement non seulement parlent de leur amour à tous, mais encore en parlent en français. C’est ridicule et étrange à dire, mais je suis convaincu qu’il y a eu et qu’il y a encore beaucoup de personnes d’un certain monde, surtout des femmes, dont l’amour envers les amis, le mari, les parents, disparaîtrait aussitôt si on leur défendait d’en parler en français.

L’amour de la deuxième sorte — l’amour dévoué — consiste à aimer les moyens du sacrifice de soi-même qu’on fait à l’objet aimé, sans se demander si c’est mieux ou pire de se sacrifier pour l’objet aimé. « Il n’y a tel ennui que je ne sois prêt à subir pour prouver à tout le monde, et à lui ou à elle, mon dévouement. » Voilà la formule de cette sorte d’amour. Les personnes qui aiment ainsi ne croient jamais à la réciprocité (parce que c’est encore plus beau de se sacrifier pour celui qui ne vous comprend pas.) Elles sont toujours malades, ce qui augmente aussi le mérite du sacrifice ; en général constantes, parce qu’il leur serait pénible de perdre le mérite des sacrifices qu’elles ont faits à l’objet aimé. Elles sont toujours prêtes à mourir pour prouver à lui ou à elle tout leur dévouement, mais elles négligent les petites preuves quotidiennes de l’amour, pour lesquelles il n’y a pas assaut particu-