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lui avoir exposé un noble sentiment et supposais que pour lui, il m’avait pardonné tout à fait mon histoire ridicule avec Kolpikov et ne m’en gardait aucun mépris. Et nous causâmes amicalement de beaucoup de choses intimes qu’on ne se dit pas en toute occasion. Dmitri me parla de sa famille que je ne connaissais pas encore, de sa mère, de sa tante, de sa sœur, et de celle que Volodia et Doubkov croyaient la passion de mon ami et appelaient la rousse. De sa mère il me fit un éloge froid et solennel, comme dans le but de prévenir toute objection sur elle ; de sa tante il parla avec enchantement, mais aussi avec une certaine indulgence ; il dit très peu de choses de sa sœur, et semblait avoir honte de parler d’elle ; mais de la rousse qui s’appelait Lubov Sergueievna, fille déjà mûre, qui par des relations de famille vivait dans la maison des Nekhludov, il me parla avec admiration.

— Oui, c’est une femme remarquable — dit-il, rougissant de honte, tout en me regardant hardiment dans les yeux — ce n’est plus une jeune fille, elle est même plutôt vieille ; elle n’est pas du tout belle, mais quelle bêtise, quelle insanité, aimer la beauté ! Je ne puis le comprendre, tant c’est bête (il disait cela comme s’il eût découvert une vérité nouvelle, extraordinaire). Mais une telle âme, un tel cœur, de tels principes… Je suis convaincu qu’il n’existe pas au monde une jeune fille pareille. (Je