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versations avec mon ami préféré, Dmitri, le merveilleux Mitia, comme je me le nommais parfois à moi-même en chuchotant, ne plaisaient qu’à mon esprit et non à mon cœur. Mais, à un certain moment, ces idées m’apparurent avec une force nouvelle de révélation morale, au point que je fus effrayé en songeant combien de temps j’avais perdu, et qu’aussitôt, à l’instant même, je voulus appliquer ces idées dans ma vie avec la ferme résolution de ne les trahir jamais.

C’est ce moment qui marque, pour moi, le commencement de ma jeunesse.

J’avais alors près de dix-sept ans. Les professeurs continuaient à venir chez moi. Saint-Jérôme suivait mes études, et machinalement, sans grande ardeur, je me préparais à l’Université. En dehors des études, mes occupations consistaient en rêves et réflexions solitaires, vagues, en exercices de gymnastique, pour devenir le premier athlète du monde, en des promenades sans but défini à travers toutes les chambres et surtout dans le corridor des chambres de bonnes, en des contemplations de mon propre individu devant le miroir, bien que je m’en éloignasse toujours avec un sentiment pénible de tristesse et même de dégoût. Mon visage, comme je le savais, non seulement n’était pas joli, mais je ne pouvais pas même me berner des consolations ordinaires en pareil cas : je ne pouvais pas dire que mon visage fût expres-