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sépulcre où tu vas, il n’y a ni œuvre, ni discours, ni science, ni sagesse. »

C’est ainsi que la majorité des personnes de notre monde entretiennent en elles la possibilité de vivre. Les conditions où elles se trouvent font qu’elles ont plus de biens que de maux, et la stupidité morale leur donne la possibilité d’oublier que les avantages de leur situation sont accidentels, que tout le monde ne peut avoir mille femmes et des palais, comme Salomon ; que, pour chaque homme ayant mille femmes, il y a mille hommes qui n’ont pas de femmes, et que pour chaque palais il y a mille hommes qui le bâtissent à la sueur de leur front, et que le hasard qui m’a fait aujourd’hui Salomon, demain peut me transformer en esclave de Salomon. La stupidité de leur imagination leur donne la faculté d’oublier ce qui empêche de dormir Bouddha — l’inéluctabilité de la maladie, de la vieillesse, de la mort, qui, aujourd’hui ou demain, détruira tous ces plaisirs.

Ainsi pense et sent la majorité des hommes de notre temps et de notre milieu. Le fait que certains d’entre eux affirment que la stupidité de leur pensée et de leur imagination est la philosophie qu’ils appellent positive, selon moi, n’écarte pas ces hommes de la catégorie de ceux qui, pour ne pas voir la question, sucent le miel. Je ne pouvais imiter ces gens-là. N’ayant pas leur stupidité d’imagination, je ne pouvais la créer en moi. Je ne