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plus pressantes elles exigeaient une réponse ; et, comme des poings retombant toujours sur la même place, ces questions sans réponse finirent par former une tache noire. Il m’arriva ce qui arrive à quiconque tombe malade d’une maladie intérieure mortelle. D’abord paraissent les symptômes infimes du mal, auxquels le malade ne fait point attention ; ensuite ces symptômes se montrent de plus en plus souvent et se résument en une souffrance unique et continue. La souffrance augmente et le malade n’a pas le temps de se retourner qu’il reconnaît que ce qu’il prenait pour une indisposition est ce qui a pour lui le plus d’importance au monde : la Mort.

Voilà ce qui m’arriva. Je compris que ce n’était pas une indisposition accidentelle, mais quelque chose de très grave, et que si la même question se répétait toujours, alors il fallait y répondre. Et je tâchai de le faire. Les questions paraissaient si absurdes, si simples, si enfantines ! Mais aussitôt que j’y touchai et que j’essayai de les résoudre, je fus immédiatement convaincu que, premièrement, ces questions n’étaient ni enfantines ni stupides, que c’étaient les questions les plus sérieuses et les plus profondes de la vie, et, deuxièmement, que j’aurais beau y réfléchir, je ne pourrais les résoudre. Avant de m’occuper de mon domaine de Samara, de l’éducation de mon fils, de la rédaction d’un livre, je devais savoir pour-