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ne connaissais pas encore et qui me promettait le salut : c’était la vie de famille.

Une année durant je m’occupai de l’arbitrage territorial, des écoles et de la revue, et j’étais très affligé, car je m’y perdais de plus en plus. La lutte perpétuelle nécessitée par mes fonctions de conciliateur me devint si pénible, mon activité dans les écoles se manifesta si vaguement, mon travail dans la revue, le désir d’enseigner, en même temps que de me cacher à moi-même ma propre incapacité, me devint si répugnant, que je tombai malade moralement plutôt que physiquement. J’abandonnai tout et m’en fus dans les steppes, chez les Bachkirs, respirer l’air, boire le koumiss et vivre de la vie animale.

À mon retour, je me mariai. Les conditions nouvelles d’une vie de famille heureuse me détournèrent complètement de toute recherche du sens général de la vie. Toute ma vie, en ce temps-là, se concentra sur ma famille, ma femme, mes enfants, et, par conséquent, sur les moyens d’augmenter mes ressources. Mon aspiration au perfectionnement, remplacée déjà auparavant par l’aspiration au perfectionnement en général, au progrès, cédait nettement la place à mon désir d’avoir, pour moi et ma famille, une vie très confortable. Ainsi passèrent quinze ans encore. Bien que je considérasse la littérature comme une bagatelle, pendant ces quinze années, je continuai cependant à écrire.