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Comme l’enfant continuait à pleurer, Avdieitch imagina de le menacer de son doigt, qu’il approchait et éloignait alternativement de ses lèvres, mais sans le lui mettre dans la bouche, car son doigt était noir de poix. L’enfant, le regard fixé sur le doigt, cessa de pleurer et même se mit à rire. Avdieitch était tout content.

En mangeant, la femme raconta qui elle était, et d’où elle venait.

— Je suis la femme d’un soldat, dit-elle. Voilà huit mois qu’on l’a fait partir, et depuis je n’ai pas eu de ses nouvelles. J’étais en service comme cuisinière lorsque j’accouchai. Avec un enfant on n’a pas voulu me garder, et voilà trois mois que je suis sans place. J’ai mangé tout ce que j’avais. J’ai voulu me placer comme nourrice ; je n’ai pas trouvé : on me disait que j’étais trop maigre. Alors je me suis rendue chez une marchande ; là on promit de me prendre. Je pensais que l’affaire allait s’arranger tout de suite, mais on m’a dit de revenir dans une semaine… Et elle demeure bien loin. Je n’en puis plus, et mon pauvre petit est exténué aussi. Heureusement que la logeuse a eu pitié de nous, et nous laisse, au nom du Christ, coucher chez elle. Autrement je ne saurais que devenir.

Avdieitch soupira et dit :

— N’as-tu pas de vêtements chauds ?

— Non ; hier j’ai engagé mon dernier châle, pour vingt kopeks.