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Cette foi dans l’importance de la poésie et du développement de la vie était une religion, dont j’étais un des pontifes. C’était très agréable, et très avantageux, d’être un de ces pontifes, et je vécus assez longtemps dans cette religion, sans douter une seule fois que ce fût la vraie.

Mais la seconde et surtout la troisième année de cette vie, je commençai à douter de l’infaillibilité de cette religion, et je me mis à l’examiner. Le premier motif de doute fut celui-ci : j’avais enfin remarqué que les prêtres de notre religion n’étaient pas tous d’accord entre eux. Les uns disaient : C’est nous qui sommes les maîtres les meilleurs et les plus utiles ; nous enseignons ce qu’il faut ; les autres n’enseignent pas la vérité. Et ceux-ci disaient : Non, c’est nous qui sommes dans le vrai, c’est vous qui enseignez l’erreur. Et ils se disputaient, se querellaient, s’injuriaient, se trompaient, s’abusaient les uns les autres. En outre, beaucoup d’entre nous ne se souciaient même pas de savoir qui avait raison, qui avait tort, et poursuivaient tout simplement leur but matériel, avec l’aide que nous leur donnions. Tout cela m’amena à douter de la vérité de notre culte.

Ayant ainsi mis en doute la religion des écrivains, je commençai à observer plus attentivement ses ministres. Je me convainquis que presque tous ces écrivains étaient des hommes sans moralité, pour la plupart mauvais, nuls, bien infé-