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perdre deux jours. Alors la vieille et la gamine sont allées mendier… Elles ne recueillaient pas grand’chose ; personne n’avait de pain. Pourtant on mangeait tout de même. Nous comptions nous traîner ainsi jusqu’à la moisson prochaine. Mais depuis le printemps on a cessé de donner. Et par surcroît la maladie est tombée sur nous ! Ça allait de mal en pis : un jour nous mangions ; deux autres, rien. Nous nous sommes tous mis à manger de l’herbe. Est-ce l’herbe ou autre chose, le fait est que la maladie prit la femme. Elle s’alita… et moi, je n’ai plus de forces… Je ne sais comment nous sortirons de là. »

« Je suis restée seule, dit la vieille ; j’ai fait ce que j’ai pu, mais, ne prenant pas de nourriture, je me suis épuisée… La petite fille dépérit et devient peureuse… Nous voulions l’envoyer chez le voisin, elle s’y refusait… Elle se tenait tapie dans un coin et n’en bougeait pas… Avant-hier la voisine entra… mais nous trouvant affamés, et la femme malade, elle tourna les talons et s’en alla… Son homme lui-même est parti n’ayant pas de quoi donner à manger à ses petits enfants… C’est ainsi que nous étions couchés, attendant la mort. »

Elisée, ayant entendu ce récit, résolut de ne pas rejoindre son compagnon le même jour et de passer la nuit dans l’izba. Le lendemain matin, il se leva et s’occupa de tout dans la maison, comme s’il eût été le patron. Aidé de la vieille, il pétrit la pâte