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vivre étaient devenus pauvres et que les pauvres avaient émigré, ou mendiaient ou périssaient de misère à la maison ; et que, pendant l’hiver, ils mangeaient du son et des graines d’arroche.

Dans un village où ils passèrent la nuit, les paysans achetèrent une quinzaine de livres de pain ; puis ils partirent le lendemain, avant l’aube, afin de parcourir une longue distance avant la chaleur. Ils firent une dizaine de verstes, et s’approchèrent d’une petite rivière. Là ils s’assirent, puisèrent de l’eau dans leurs gobelets, y trempèrent leur pain, mangèrent, et changèrent de chaussures. Ils restèrent ainsi un moment à se reposer. Elisée prit sa tabatière de corne. Efim Tarassitch hocha la tête.

— Comment ne te défais-tu point d’une si mauvaise habitude ? dit-il.

Elisée eut un geste de découragement :

— Le péché a eu raison de moi. Qu’y puis-je ? Ils se levèrent et poursuivirent leur chemin. Ils firent encore une dizaine de verstes et arrivèrent à un gros bourg, qu’ils traversèrent. Il faisait chaud. Elisée se sentit fatigué ; il voulut se reposer et boire un peu ; mais Tarassitch ne s’arrêta pas. Il était meilleur marcheur que son compagnon, qui le suivait avec peine.

— Je voudrais boire, dit-il.

— Eh bien ! bois ; moi, je n’ai pas soif.

Elisée s’arrêta.

— Ne m’attends pas, dit-il ; je vais courir jus-