disait toujours qu’elle ne désirait rien tant pour
moi qu’une liaison avec une femme mariée :
« Rien ne forme un jeune homme comme une liaison
avec une femme comme il faut. » Elle me souhaitait
encore un autre bonheur : celui d’être aide
de camp, et surtout aide de camp de l’Empereur,
et, comme bonheur suprême, d’épouser une jeune
fille très riche, afin d’avoir par ce mariage un très
grand nombre de serfs.
Je ne puis me rappeler ces années sans horreur, sans dégoût, sans souffrance. J’ai tué des hommes à la guerre ; j’ai provoqué en duel pour tuer ; j’ai perdu de grosses sommes au jeu ; j’ai gaspillé le produit des travaux des paysans ; je les ai punis ; j’ai commis l’adultère ; j’ai trompé. Le mensonge, le vol, la cupidité sous toutes ses formes, l’ivrognerie, la violence, le meurtre… il n’est point de crimes que je n’aie commis… Et pour tout cela on me louait, on me considérait comme un homme relativement moral. Je vécus ainsi dix ans.
À cette époque je me mis à écrire, par ambition, par cupidité, par orgueil. Mes écrits étaient conformes à ma vie. Pour obtenir la gloire et l’argent, en vue desquels j’écrivais, il fallait cacher le bon et publier le mauvais. C’est ce que je faisais. Combien de fois, affectant l’indifférence et même une légère ironie, me suis-je efforcé d’écarter de mes écrits ces aspirations vers le bien, qui donnaient un sens à ma vie ! Et j’atteignais mon but, et l’on m’encourageait.