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si quelque chose l’étouffait. Matriona se tut. Simon lui dit :

— Matriona, n’as-tu plus Dieu dans ton cœur ?

À ces paroles, Matriona considéra de nouveau l’étranger et son cœur se fondit. Quittant le seuil, elle alla vers le poêle pour préparer le souper, posa l’écuelle sur la table, versa le kwass et apporta le dernier pain, avec un couteau et des cuillers.

— Allons, mangez, dit-elle.

Simon poussa l’homme vers la table.

— Approche, jeune homme, dit-il.

Il coupa du pain, le trempa et tous deux se mirent à manger. Matriona s’assit au coin de la table, et le menton appuyé sur ses poings, regarda l’étranger.

Elle fut prise d’une grande pitié et se mit à son tour à l’aimer. Aussitôt l’étranger devint plus gai et, relevant la tête, il sourit à Matriona.

Le souper fini, celle-ci rangea la vaisselle et dit :

— D’où viens-tu ?

— Je ne suis pas d’ici.

— Comment t’es-tu trouvé là ?

— Je ne puis le dire.

— Qui t’a dépouillé ?

— C’est Dieu qui m’a puni.

— Et c’est pour cela que tu restais tout nu.

— Oui je restais ainsi, tout nu. Je gelais. Simon m’a vu. Il a eu pitié de moi. Il m’a mis son cafetan, m’a dit de le suivre. Toi, tu as compati à ma mi-