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Et à vrai dire, il y a de quoi. On travaille pour eux, ils vous font courir… Attends un peu ! tu ne me donnes pas d’argent… je lèverai mon bonnet. Je te jure que je le ferai !… En voilà des manières, de payer par vingt kopeks ! Que peut-on faire avec vingt kopeks ? Les boire au cabaret, voilà tout !… »

Et toujours soliloquant :

« La misère ! La misère !… Et la mienne donc ! Tu as une maison, du bétail, et tout, et moi, je n’ai que moi. Tu manges le pain qui vient de ton champ, et moi, j’achète le mien ; rien que pour le pain, il faut que je trouve trois roubles par semaine. Je reviens chez moi, le pain est mangé, encore un rouble et demi à dépenser. — Donne-moi donc ce que tu me dois ! »

Le cordonnier arrive ainsi près de la chapelle, au tournant de la route. Il aperçoit, derrière la chapelle, quelque chose de blanc. Le jour tombait ; le cordonnier distinguait mal.

« Qu’est-ce qu’il y a là ? Il n’y avait pas de pierre blanche, ici. Est-ce une vache ? Non, ça n’a pas l’air d’une vache. Du côté de la tête on dirait un homme. Mais pourquoi est-il blanc ? Et pourquoi se trouverait-il ici ? »

Il s’approche, distingue mieux. Quel miracle ! C’est bien un homme !

Vivant ou mort ? Il est assis, tout nu, appuyé contre le mur de la chapelle ; il ne remue pas. Le cordonnier, pris de peur, pense :