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heures environ, et cela lui paraissait possible. Mais quand il revint de chez le docteur et vit de nouveau les souffrances de sa femme, il se mit à répéter de plus en plus souvent : « Seigneur Dieu pardonnez-nous. Ayez pitié de nous ! » à soupirer, à lever la tête, et il redoutait de ne pouvoir supporter ce spectacle, de se mettre à pleurer, de s’enfuir, tellement c’était pénible pour lui. Et il ne s’était encore écoulé qu’une heure.

Mais après cette heure, une autre suivit, puis une deuxième, une troisième, puis enfin les cinq heures qu’il s’était fixées comme délai maximum de souffrances, et la situation était toujours la même, et il la supportait toujours, car il n’y avait pas autre chose à faire. Cependant, à chaque instant, il se croyait arrivé aux dernières limites de l’endurance et pensait que son cœur allait éclater de douleur.

Mais les minutes s’écoulaient, les heures succédaient aux heures, et sa souffrance et son horreur grandissaient de plus en plus.

Toutes les conditions ordinaires de la vie sans lesquelles on ne peut rien se représenter n’existaient plus pour Lévine.

Il avait perdu la notion du temps. Tantôt les minutes — ces minutes quand elle l’appelait près d’elle et qu’il tenait sa main moite qui tour à tour serrait la sienne avec une force extraordinaire ou la repoussait — lui semblaient des heures ; tantôt les heures lui semblaient des minutes.