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La même expression de froide préparation à la lutte parut également sur son visage.

— Primo, je ne l’ai chargé d’aucune commission ; secundo, je ne mens jamais ; et enfin, je suis resté parce que je l’ai voulu ; dit-il en fronçant les sourcils. Anna ! pourquoi, pourquoi ? fit-il après un moment de silence, se penchant vers elle, et lui tendant sa main ouverte, pour qu’elle y mît la sienne.

Elle était heureuse de cet appel à la tendresse, mais une force mauvaise ne lui permit pas de s’abandonner à ce sentiment ; on eût dit que les conditions de la lutte ne lui permettaient pas de se soumettre.

— Cela se comprend : tu as voulu rester, et tu es resté. Tu fais tout ce que tu veux… mais pourquoi me le dis-tu ? Pourquoi ? dit-elle s’enflammant de plus en plus. Est-ce que quelqu’un discute tes droits ? Mais si tu veux avoir raison, eh bien, soit !

Sa main se ferma. Il se recula, et l’expression de son visage devint encore plus hostile.

— Pour toi ce n’est que de l’obstination, dit-elle le regardant fixement et trouvant tout d’un coup un nom à cette expression du visage qui l’agaçait. Oui, précisément de l’obstination. Pour toi il ne s’agit que de savoir si tu resteras vainqueur dans la lutte contre moi, et pour moi…

De nouveau, elle ressentit de la pitié pour elle-même et faillit pleurer.