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les premières lignes du roman qui expriment une remarque psychologique qu’il avait faite : « Toutes les familles heureuses se ressemblent, chaque famille malheureuse est malheureuse à sa façon. »

La trame du roman fut donnée à l’auteur par un événement réel, la mort tragique d’une femme qui se jeta sous un train. Tolstoï avait vu le cadavre mutilé de cette femme et en avait ressenti une impression poignante. Le contraste de cette tragédie lui fut fourni par les souvenirs de l’histoire poétique de son mariage et des premières années de sa vie de famille. Enfin, tous les événements décrits dans Anna Karénine sont liés à l’histoire de la vie intérieure de Lévine, c’est-à-dire à celle de Tolstoï lui-même.

Anna Karénine, malgré des pages brillantes qui ne le cèdent point à celles de Guerre et Paix, fut loin d’avoir le même succès que le premier grand roman de Tolstoï. Voici par exemple ce qu’en dit Tourgueniev. Dans une lettre à A.-S. Souvorine, du 14 mars 1873, il écrit : « J’attends avec impatience la première livraison de vos études. Votre « Portrait littéraire » de L.-N. Tolstoï sera certainement très bien. C’est un talent hors ligne, mais dans Anna Karénine, comme on dit ici, il a fait fausse route. C’est l’influence de Moscou, de la noblesse slavophile, des vieilles filles orthodoxes, de son isolement et du manque de véritable travail artistique. »