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— Non, mon cher, vous êtes battu, battu à plate couture ! s’écria gaiement Katavassov.

Lévine rougit de dépit, non parce qu’il était battu mais parce qu’il n’avait pas su se retenir, et s’était laissé aller à discuter.

« Non, je ne puis discuter avec eux, pensa-t-il. Ils ont un bouclier impénétrable, et moi, je suis nu. »

Il voyait qu’il lui était impossible de convaincre son frère et Katavassov, et encore moins de se rendre à leurs raisons. Ce qu’ils soutenaient, c’était ce même orgueil de l’esprit qui avait failli le perdre. Il ne pouvait admettre que des dizaines d’hommes, parmi lesquels était son frère, aient le droit, se basant sur les racontars de quelques centaines de volontaires bavards venus de la capitale, de dire qu’eux et les journaux expriment la volonté et la pensée du peuple, pensée qui se manifestait par la vengeance et le meurtre. Il ne pouvait en convenir, car il ne voyait point de telles idées parmi le peuple au milieu duquel il vivait et ne les trouvait pas en soi (il ne pouvait se considérer autrement que partie du peuple russe) ; et, le principal, il ne savait pas et ne pouvait savoir en quoi consistait le bien général, mais il savait indubitablement que ce bien ne pouvait s’atteindre qu’en accomplissant strictement la loi du bien qui est révélée à chacun. C’est pourquoi il ne pouvait désirer la guerre ni la prôner pour n’importe quel but général. Il disait