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personnelles quand toute la Russie, tout le peuple, a exprimé sa volonté.

— Excusez-moi, mais je ne le vois pas. Le peuple ignore tout, dit le prince.

— Non, père ; il sait. Et le dimanche, à l’église ? intervint Dolly… Donne-moi la serviette, dit-elle à un vieux paysan qui, en souriant, regardait les enfants. Ce n’est pas possible que tous…

— Quoi, dimanche, à l’église ?… On a ordonné au prêtre de lire : il a lu. Ils n’ont rien compris ; ils soupiraient comme à chaque sermon, continua le prince. Ensuite on leur a dit qu’on allait faire une quête pour une œuvre sainte et ils ont tiré leur kopek et l’ont donné. Mais pourquoi ? ils l’ignorent.

— Le peuple ne peut l’ignorer. La conscience de ses destinées vit toujours dans le peuple, et, à certaines occasions, comme aujourd’hui, elle se révèle à lui, prononça affirmativement Serge Ivanovitch en regardant le vieux paysan.

Celui-ci, un beau vieillard à la barbe et à l’épaisse chevelure argentées se tenait immobile, une tasse de miel à la main, et regardant ses maîtres affectueusement, tranquillement, du haut de sa grande taille, ne comprenait évidemment rien et ne désirait pas comprendre.

— C’est ça en effet, répondit-il aux paroles de Serge Ivanovitch en hochant gravement la tête.

— Mais voilà, interroge-le. Il ne sait et ne pense rien, dit Lévine. Mikhailitch, as-tu entendu parler