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mit à regarder au loin le troupeau qui descendait de l’autre côté de la rivière.

« Mais puis-je croire en tout ce que l’Église enseigne ? » pensa-t-il, cherchant et inventant tout ce qui pouvait détruire son calme actuel. Il se mit à se remémorer les dogmes de l’Église qui toujours lui avaient paru les plus étranges et les plus séduisants.

« La création ? Par quoi expliquerais-je son existence ? Par rien… Le diable et le péché ? Et le mal, par quoi l’expliquerais-je ? Le rédempteur ? Mais je ne sais et ne puis savoir rien, rien, sauf ce qui a été révélé à moi et à tous. »

Il lui sembla qu’il n’y avait pas un seul dogme de l’Église, violant le principal : la foi en Dieu, au bien, comme l’unique destination de l’homme.

Avec chaque croyance de l’Église, on pouvait remplacer ses besoins par le service de la vérité, et chacune de ces croyances, non-seulement ne la violait pas, mais était nécessaire pour que s’accomplît ce miracle essentiel, qui se manifeste toujours sur la terre et qui consiste en ce qu’il est possible à chacun — à des millions de gens les plus divers, sages ou innocents, enfants ou vieillards, à tous, au paysan, à Lvov, à Kitty, aux mendiants et aux rois, — de comprendre indiscutablement la même chose, de former cette vie de l’âme pour laquelle seule il faut vivre et que seule nous apprécions.