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herbe et que gênait dans sa marche une petite feuille.

« Qu’ai-je découvert ? » se demanda-t-il en enlevant la petite feuille qui gênait l’insecte et approchant une autre tige d’herbe pour que la bestiole pût y passer : « Qu’est-ce qui me réjouit ? Qu’ai-je découvert ? Rien. Je n’ai appris que ce que je connaissais. J’ai compris cette force qui n’est pas dans le passé seul, qui m’a donné la vie. Je me suis délivré de la tromperie et j’ai reconnu le maître.

« Auparavant, je disais que dans mon corps, dans le corps de cette herbe, de cet insecte (il n’a pas voulu aller sur l’autre herbe, a déployé ses élytres et s’est envolé), se font, d’après les lois chimiques, physiques, physiologiques, des échanges de matière. Mais chez nous tous, comme chez les ormes et les nuages, etc., se produit le développement. Le développement de quoi ? Pourquoi ? Le développement infini et la lutte ?… Comme s’il pouvait être une direction quelconque et la lutte dans l’infini ! Et moi qui m’étonnais que malgré la grande tension de la pensée dans cette voie, le sens de la vie ne me soit pas révélé, non plus que le sens de mes mobiles et de mes aspirations. Maintenant je sais que je connais le sens de ma vie : Vivre pour Dieu, pour l’âme. Ce sens, malgré toute sa clarté, est mystérieux, miraculeux. Tel est aussi le sens de tout ce qui existe… Oui, l’orgueil ! » se dit-il en se couchant sur le ventre et se met-