Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol18.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne faut pas vivre pour ce que nous comprenons, ce qui nous attire, ce que nous désirons, qu’il faut vivre pour quelque chose d’incompréhensible, pour Dieu que personne ne peut ni comprendre, ni définir. Eh quoi ! N’ai-je point compris ces paroles stupides de Feodor ? Les ayant comprises, ai-je douté de leur vérité ? Les ai-je trouvées stupides, vagues, imprécises ?

« Non, je les ai comprises. Je les ai comprises exactement comme lui. Rien dans la vie ne m’a jamais paru aussi clair. Je n’en ai jamais douté et n’en puis douter. Et je ne suis pas le seul à le comprendre, tous le comprennent, et tous sont d’accord.

« Moi j’ai cherché des miracles ; j’ai regretté de ne pas en voir pour me convaincre. Le miracle matériel me séduisait. Or voilà le miracle, le seul possible, qui toujours exista, qui m’entoure de toutes parts et que je ne remarque pas ! Feodor dit que Kirilov vit pour son ventre. C’est compréhensible et raisonnable. Nous tous, tous les êtres raisonnables, ne pouvons vivre pour autre chose. Mais, tout d’un coup, ce même Feodor dit que c’est mal de vivre pour son ventre, qu’il faut vivre pour la vérité, pour Dieu, et à la première allusion, je le comprends ! Moi et des millions de gens qui ont vécu depuis des siècles, qui vivent maintenant, les paysans, les pauvres d’esprit et les sages, ceux qui ont pensé et écrit sur cette question, tous, dans leur langue vague, disent la même chose, tous sont