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Lévine savait aussi qu’en rentrant à la maison, il fallait avant tout aller près de sa femme mal disposée, tandis que les paysans qui l’attendaient depuis trois heures pouvaient l’attendre encore ; mais, malgré tout le plaisir qu’il aurait eu à arranger l’essaim, il savait qu’il devait se priver de ce plaisir, laisser le vieux le faire sans lui, et aller aux paysans qui se trouvaient là.

Agissait-il bien ou mal, il l’ignorait, et non seulement il n’essayait pas de se le prouver mais il évitait toute conversation ou discussion sur ce sujet. Les raisonnements l’amenaient au doute et l’empêchaient de voir ce qu’il fallait ou non. Au contraire, quand il ne pensait pas mais vivait, il sentait en son âme la présence d’un juge infaillible qui décidait lequel des deux actes était possible et meilleur, et aussitôt qu’il agissait comme il fallait, il le sentait.

Il vivait ainsi, ne sachant pas, ne voyant pas la possibilité de savoir ce qu’il était, pourquoi il vivait, et souffrant à un tel point de cette ignorance, qu’il craignait le suicide, ce qui ne l’empêchait pas de régler très nettement sa vie.