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en continuant à téter, l’enfant soulevant ses longs cils regardait sa mère avec des yeux qui, dans le demi-jour, paraissaient noirs et humides. La bonne avait cessé d’agiter la branche et somnolait. D’en haut, arrivaient les éclats de voix du vieux prince et le rire sonore de Katavassov.

« Ils causent sans moi, pensa Kitty. C’est tout de même dommage que Kostia ne soit pas là. Il a dû probablement retourner voir ses abeilles. C’est ennuyeux qu’il y aille si souvent, cependant j’en suis contente, cela le distrait. Il est maintenant plus gai, meilleur, qu’au printemps. Il était si sombre, si triste que je craignais pour lui. Et qu’il est drôle ! » fit-elle en souriant.

Elle savait que ce qui tourmentait son mari, c’était son manque de foi. Si quelqu’un lui avait demandé ce qu’il adviendrait de son mari dans la vie future, s’il ne croyait pas, elle n’aurait pu convenir qu’il serait damné, malgré sa conviction qu’en dehors de la foi, il n’y a pas de salut ; mais comme elle aimait au-dessus de tout la personne morale de son mari, c’était en souriant qu’elle pensait à son incrédulité, trouvant au fond qu’il était drôle.

« Pourquoi lit-il sans cesse toute cette philosophie ? pensa-t-elle. Si tout cela est écrit dans les livres, il peut lui-même le comprendre, et s’il n’y a là que des mensonges, à quoi bon les lire ? Il dit lui-même qu’il voudrait croire. Alors pourquoi ne croit-il pas ? Probablement parce qu’il réfléchit