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« Oui, où en étais-je restée ? Oui… que je ne puis trouver de situation dans laquelle la vie ne soit pas une souffrance, que nous tous sommes nés pour souffrir ; que nous le savons et inventons le moyen de nous tromper. Mais quand on voit la vérité, que faut-il donc faire ?

— La raison est donnée à l’homme pour se débarrasser de ce qui le tourmente, prononça en français la dame, évidemment très contente et faisant claquer sa langue.

Ces paroles paraissaient répondre à la pensée d’Anna.

— « Se débarrasser de ce qui le tourmente », se répondit Anna ; et regardant le mari à la face rubiconde et sa femme malingre, elle comprit que cette femme malade se croyait une incomprise, que son mari soutenait en elle cette opinion, et la trompait. Anna paraissait voir toute leur histoire et tous les coins de leur âme ; mais il n’y avait là rien d’intéressant.

« Oui, cela me tourmente, et la raison nous est donnée pour nous débarrasser… alors il faut se débarrasser. Pourquoi ne pas éteindre la lumière quand il n’y a plus rien à regarder, quand tout ce qu’il y a à voir est vilain ?… Mais comment ?… Pourquoi ce conducteur court-il ? Pourquoi tous ces jeunes gens, dans l’autre wagon, rient-ils ? Tout est faux, tout est mensonge, tromperie, tout est mal !… »