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C’est pourtant la réalité… Depuis longtemps il ne m’aime plus… Et là où finit l’amour commence la haine… Ces rues, je ne les connais pas du tout… Ce sont des collines quelconques, et toujours des maisons et des maisons… et dans les maisons, toujours des gens et des gens… Il y en a sans fin, et tous se haïssent les uns les autres… Admettons que j’obtienne ce que je veux pour être heureuse. Soit ! j’obtiens le divorce, Alexis Alexandrovitch me rend Serge et j’épouse Vronskï… »

À ce moment elle se rappela Alexis Alexandrovitch avec une vivacité particulière, elle le vit comme vivant devant elle, avec ses yeux doux et éteints, ses mains blanches aux veines bleues ; elle entendit les intonations de sa voix, les craquements de ses doigts. Au souvenir du sentiment qui existait entre eux et qui aussi s’appelait l’amour, elle tressaillit de dégoût.

« J’obtiens donc le divorce et deviens la femme de Vronskï… Et après ? Est-ce que Kitty ne me regardera plus comme elle l’a fait aujourd’hui ? Non. Et Serge ? Cessera-t-il d’interroger ou de réfléchir sur mes deux maris ? Et entre moi et Vronskï quel nouveau sentiment trouverai-je ? Puis-je compter maintenant non pas sur le bonheur, mais puis-je espérer ne pas souffrir ? Non, non ! » se répondait-elle sans la moindre hésitation. « … C’est impossible. C’est la vie qui nous sépare ; je fais son malheur et lui le mien, et on ne peut nous changer ni l’un