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pela qu’elle n’avait personne à qui raconter des choses drôles. « Et il n’y a rien de drôle, rien de gai… Tout est vilain… On sonne pour la messe… et ce marchand, avec quel soin il fait le signe de croix ! Comme s’il avait peur de laisser choir quelque chose… Pourquoi ces églises, ces sonneries et ces mensonges ?… Seulement pour cacher que nous nous haïssons les uns les autres… Comme ce cocher vocifère avec colère… Comme dit Iachvine : « il veut me laisser sans chemise et moi, je désire la même chose », la vérité est là tout entière ! »

Ces pensées qui l’entraînaient au point qu’elle en oubliait sa propre situation l’accompagnèrent jusqu’au seuil de sa demeure. En apercevant le suisse qui sortait à sa rencontre, elle se rappela qu’elle avait envoyé un billet et un télégramme.

— Y a-t-il une réponse ? demanda-t-elle.

— Je vais voir, répondit le suisse, et jetant un regard sur son bureau il y prit un télégramme qu’il lui tendit.

« Je ne puis venir avant dix heures, Vronskï », lut-elle.

— Et l’envoyé est-il de retour ?

— Non, madame, répondit le suisse.

« S’il en est ainsi, alors je sais ce qu’il me reste à faire. » Et sentant la colère la gagner en même temps que le besoin de la vengeance, elle courut en haut. « J’irai moi-même le trouver. Avant de partir pour toujours, je lui dirai tout. Je n’ai jamais