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Kitty serait encore plus contente. J’en ai la conviction ! Elle sait que j’ai été plus qu’aimable avec son mari… et elle est jalouse ; elle me hait. Plus encore, elle me méprise… À ses yeux, je suis une femme immorale. Si j’étais véritablement telle, j’aurais pu me faire courtiser par son mari… Si je voulais… et je le voulais… Et celui-ci, pourquoi est-il content de lui ? » pensa-t-elle d’un monsieur gros et rouge, qui passait en voiture, et, la prenant pour une connaissance, soulevait un huit reflets au-dessus de sa calvitie, puis s’apercevait qu’il s’était trompé. « Il pensait me connaître et il me connaît aussi peu que n’importe qui… Je ne me connais pas moi-même… Je connais mes appétits, comme disent les Français. Ainsi ils veulent ces mauvaises glaces, çà, ils le connaissent sûrement », pensa-t-elle en regardant deux garçons qui venaient d’arrêter un marchand de glaces, lequel enlevait de dessus sa tête le seau à glaces et essuyait d’un coin d’une serviette son visage en sueur. « Tous, nous voulons quelque chose de doux et de parfumé. Il n’y a pas de bonbons, alors ils prennent ces sales glaces… Et Kitty, c’est la même chose : faute de Vronskï, elle a pris Lévine. Et elle m’envie, et elle me hait, et tous nous nous haïssons les uns les autres : moi, Kitty ; Kitty, moi. Voilà la vérité !… Tutkine, coiffeur, je me fais coiffer par Tutkine… Je le lui dirai quand il viendra », pensa-t-elle, et elle sourit. Mais à ce moment, elle se rap-