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manqua, son sang lui afflua au cœur, et elle sentit son visage se colorer vivement. Ce fut seulement l’affaire de quelques secondes. Son père qui, intentionnellement, s’était mis à parler à Vronskï, n’avait pas fini sa phrase que déjà elle pouvait le regarder tranquillement, lui parler au besoin et aussi librement qu’elle le faisait avec la princesse Marie Borissovna, de telle façon que tout, même jusqu’à son intonation et son sourire, eût été approuvé par son mari dont elle paraissait sentir en ce moment la présence invisible.

Elle lui dit quelques mots, sourit même avec aisance à sa plaisanterie sur les élections, qu’il appelait « notre parlement ». Il fallait sourire pour montrer qu’elle comprenait la plaisanterie. Mais aussitôt elle se détourna vers la princesse Marie Borissovna et ne le regarda pas une seule fois jusqu’à ce qu’il se levât pour prendre congé. Alors elle le regarda, mais uniquement parce qu’il eût été impoli de ne pas regarder la personne qui vous saluait.

Elle fut très reconnaissante à son père de ne pas lui parler de leur rencontre avec Vronskï ; et à sa tendresse particulière, après la visite, pendant leur promenade habituelle, elle comprit qu’il était content d’elle. Elle-même se sentait satisfaite. Elle n’aurait pas cru qu’elle aurait eu la force de retenir au fond de son âme tous les souvenirs de son ancien amour pour Vronskï, et non seulement de