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— Je ne partirai pas plus tard : lundi ou jamais.

— Mais pourquoi ? demanda Vronskï étonné. Cela n’a aucun sens.

— Pour toi peut-être, puisque tu ne penses pas du tout à moi. Tu ne veux pas comprendre ma vie. Une seule chose m’occupe ici : Ganna, et tu dis que c’est une feinte. Tu as dit hier que je n’aime pas ma fille, que je feins d’aimer cette Anglaise et que ce n’est pas naturel ; je désirerais savoir quelle vie ici pour moi peut être naturelle ? Soudain elle se ressaisit et fut effrayée de s’être laissé aller ainsi. Mais bien que sachant qu’elle se perdait, elle ne pouvait se retenir et ne pas lui montrer ses torts tout en se soumettant à lui.

— Je n’ai jamais dit cela. J’ai dit seulement que je ne comprenais pas cette affection subite…

— Toi qui te glorifies de ta droiture, pourquoi ne dis-tu pas la vérité ?

— Je ne me vante jamais, et ne mens pas, dit-il doucement retenant la colère qui grondait en lui. C’est bien dommage si tu ne respectes pas…

— On a inventé le respect pour masquer la place vide de l’amour, et si tu ne m’aimes plus il vaudrait mieux, il serait plus honnête de me le dire.

— Non ! Ça devient insupportable ! s’écria Vronskï en se levant. Il s’arrêta devant elle et prononça lentement : Pourquoi éprouves-tu ma patience ? Elle a des limites.

— Que voulez-vous dire par là ? s’écria-t-elle