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d’un dîner de célibataires, se promenait de long en large dans son cabinet (la pièce d’où l’on entendait le moins le bruit de la rue), et repassait dans tous ses détails les phases de leur querelle de la veille.

Remontant en arrière, depuis les paroles blessantes de la discussion jusqu’à ce qui avait été leur prétexte, elle arriva aux premiers mots de la conversation. Longtemps elle se demanda si la discussion avait bien pu être amenée par une conversation aussi inoffensive, où rien ne tenait à cœur ni à l’un ni à l’autre. Pourtant c’était ainsi. Il avait commencé par se moquer des lycées de jeunes filles, les trouvant inutiles. Elle les avait défendus. Il raillait, en général, l’instruction des femmes et observa que Ganna, une Anglaise protégée par Anna, n’avait aucun besoin d’étudier la physique.

Cela agaçait Anna. Elle voyait là une allusion méprisante à ses propres occupations, et elle trouva et dit une phrase pour riposter à l’offense qui lui était faite.

— Je n’espérais pas que vous vous souveniez de mes sentiments, comme peut le faire l’homme qui aime, j’attendais tout simplement quelque délicatesse.

En effet, il avait rougi de dépit et prononcé quelques paroles désagréables. Elle ne se rappelait plus sa réponse, mais alors, sans rime ni raison, avec le désir évident de lui être désagréable, il avait dit :