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d’esprit excluant tous autres intérêts et qui lui était nécessaire pour continuer son travail.

Cependant le pied du Christ, en raccourci, avait un défaut. Il saisit sa palette et se mit au travail. Tout en corrigeant ce pied, il examinait la tête de Jean, que les visiteurs n’avaient pas remarquée et qui selon lui était un chef-d’œuvre. Quand il eut fini la retouche du pied, il voulut aussi toucher à cette figure ; mais il était trop ému et pour bien travailler il devait trouver un milieu entre la froideur et l’exaltation.

Pour le moment il était trop agité. Il voulut couvrir son tableau, mais s’arrêta, et soulevant la draperie d’une main, sourit avec extase en regardant le visage de Jean.

Enfin s’arrachant à grand’peine au plaisir de contempler son œuvre, il laissa retomber le rideau et retourna chez lui fatigué mais heureux.

Vronskï, Anna et Golinitchev étaient particulièrement amusés et gais en retournant chez eux. Ils parlaient de Mikhaïlov, de ses tableaux. Le mot talent revenait souvent dans leur conversation ; mais ils n’entendaient pas seulement par là un don inné, presque physique, indépendant de l’esprit et du cœur ; ils employaient ce mot, faute d’un autre, pour désigner quelque chose de plus large, les émotions éprouvées par le peintre, dont le vrai sens leur échappait. « Du talent, disaient-ils, on ne peut lui en refuser, mais ce talent ne saurait se développer