dans ce travail, tout cela maintenant, vu avec leurs
yeux, lui paraissait une banalité mille fois répétée.
La physionomie la plus chère pour lui, le visage
du Christ, le centre du tableau, dont il était si
enthousiasmé quand il l’exécutait, tout cela n’existait
plus quand il regardait le tableau avec leurs
yeux. Il voyait une reproduction bien faite (ou
plutôt pas très bien, il remarquait maintenant un
grand nombre de défauts) de ces immortels Christ,
du Titien, de Raphaël, de Rubens ; de ces mêmes
centurions et des mêmes Pilate. Tout cela était
banal, pauvre, connu, et même mal exécuté, barbouillé,
faible. Ils auraient raison si au lieu de
phrases aimables et polies ils plaignaient l’artiste
et se moquaient de lui une fois seuls.
Ce silence (qui ne dura pas plus d’une minute) lui devint trop pénible. Pour l’abréger et montrer qu’il n’était pas ému, il fit l’effort d’adresser la parole à Golinitchev.
— Je crois avoir eu l’avantage de vous rencontrer, lui dit-il en regardant avec inquiétude tantôt Anna, tantôt Vronskï afin de ne rien perdre du jeu de leurs physionomies.
— Parfaitement. Nous nous sommes rencontrés chez Rossi, le soir où cette demoiselle italienne, la nouvelle Rachel, a déclamé. Vous rappelez-vous ? répondit légèrement Golinitchev détournant ses regards du tableau sans le moindre regret apparent.