Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol17.djvu/353

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ce n’est donc pas lui qui m’aidera. De sorte que je ne sais pas comment j’élèverai mes enfants. Il me faudra chercher des protections, m’humilier. Admettons, ce que je puis espérer de plus heureux, que je garde tous mes enfants et que je puisse les élever d’une façon quelconque ; mon seul désir, c’est qu’ils ne tournent pas mal… Et pour arriver à cela tant de souffrances et de peines ! Toute la vie sacrifiée ! »

Elle se rappelait de nouveau les paroles de la jeune paysanne, de nouveau elle en était indignée et cependant elle était forcée de reconnaître qu’elles avaient du vrai.

— Sommes-nous encore loin, Mikhaïlo ? demanda Daria Alexandrovna au garçon de bureau pour écarter ces pénibles pensées.

— On dit qu’il y a sept verstes à partir du village.

Dans le village la voiture traversa un pont, où marchaient, en causant gaîment et avec bruit, une foule de femmes, qui portaient des seaux sur leurs épaules. Elles s’arrêtèrent et regardèrent curieusement la voiture. Tous les visages tournés vers elle paraissaient gais et forts, à Daria Alexandrovna et semblaient vouloir l’agacer par leur joie de vivre.

« Tous vivent, tous jouissent de la vie, se dit-elle tandis qu’agréablement balancée sur les ressorts souples de la vieille voiture qui montait une côte, elle se reprenait à penser après avoir dépassé les fem-