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lutte des pensées et des sentiments. Il comprenait sa mère, l’aimait, la jugeait peut-être… pensait-elle se rappelant les paroles et les regards de son fils ; or, maintenant elle était séparée de lui pour toujours, physiquement et moralement, et à cette situation il n’y avait pas de remèdes.

Elle rendit la fillette à sa nourrice, les congédia et ouvrit un médaillon renfermant le portrait de Serge au même âge que la petite fille. Elle se leva, ôta son chapeau, et prit sur la table un album où se trouvaient des photographies de son fils à différents âges. Elle voulait comparer les photographies et se mit à les retirer de l’album. Elle les avait toutes, sauf une, la dernière, la meilleure, représentant Serge en blouse blanche, à cheval sur une chaise, fronçant les sourcils et souriant. La ressemblance était parfaite. De ses doigts habiles, aujourd’hui particulièrement nerveux, elle saisit plusieurs fois le coin de la photographie, mais ne put parvenir à la retirer. Il n’y avait pas sur la table de couteau à papier, elle prit une photographie au hasard (c’était un portrait de Vronskï, en cheveux longs et chapeau mou, fait à Rome), afin de s’en servir pour pousser celle de son fils.

« Le voilà ! » se dit-elle en regardant la photographie de Vronskï ; et elle se rappela soudain qu’il était l’auteur de son malheur présent. Elle n’avait pas pensé à lui de toute la matinée, mais la vue de ce visage noble, énergique, qu’elle connaissait