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généralement de ceux qui attiraient l’attention d’une façon quelconque. Ainsi, elle s’éprit de tous les nouveaux princes et nouvelles princesses qui s’alliaient à la famille impériale ; puis elle aima successivement un métropolite, un vicaire, et un prêtre ; ensuite un journaliste, trois slavophiles, Komissarov, puis un ministre, un docteur, un missionnaire anglais et enfin Karénine.

Toutes ces affections, qui passaient par différentes phases de chaleur ou de refroidissement, ne l’empêchaient pas d’entretenir les relations les plus nombreuses et les plus compliquées, tant à la cour que dans le monde. Mais quand après son malheur elle prit Karénine sous sa protection, qu’elle s’occupa de ses affaires domestiques et de la direction de son âme, elle comprit alors qu’elle n’avait jamais sincèrement aimé que lui et que toutes ses autres affections n’étaient qu’illusoires.

Le sentiment qu’elle éprouvait maintenant pour Karénine lui semblait plus fort que tous ses sentiments anciens. En analysant ce sentiment et le comparant aux anciens, elle se rendait compte qu’elle ne se serait pas éprise de Komissarov s’il n’eût sauvé la vie de l’empereur, ni de Ristitch-Koudjitski, si la question slave n’avait pas existé ; tandis qu’elle aimait Karénine pour lui-même, pour sa grande âme incomprise, pour les sons flûtés de sa voix qu’elle trouvait charmants, pour son parler lent, son regard fatigué, son caractère,