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mains qui agitaient la faux, mais celle-ci qui attirait son corps plein de vie, et, comme par enchantement, à son insu, le travail se faisait régulièrement, automatiquement. C’étaient ses plus heureux moments.

En revanche, il était difficile d’arrêter ce mouvement devenu inconscient, par exemple pour raser l’herbe sur le petit monticule d’une ancienne fourmilière ou pour abattre un bouquet d’oseille sauvage qu’on avait laissé là en sarclant la prairie. Le vieux faisait cela très facilement ; quand une bosse se présentait, il changeait le mouvement et tantôt avec le talon, tantôt du bout de la faux, il frappait de petits coups secs de chaque côté et rasait ainsi l’herbe. Tout en fauchant, il examinait tout ce qui était devant lui et ne laissait rien échapper. Tantôt il cueillait un petit fruit sauvage, le mangeait ou l’offrait à Lévine, tantôt il rejetait avec sa faux une branche, tantôt il examinait un nid de cailles d’où s’envolait la femelle presque sous sa faux, tantôt enfin, il attrapait un serpent, l’entortillait à la pointe de sa faux comme avec une fourchette, le montrait à Lévine et le lançait au loin.

Pour Lévine et pour le jeune garçon qui le suivait, ces changements de mouvements étaient très difficiles. Tous les deux, une fois entraînés dans le feu du travail, ne pouvaient changer de mouvement et en même temps faire attention à ce qui se trouvait sous leurs pas.