Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/438

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la regardait faire le pansement. Quand elle eut terminé, il lui dit :

— Je ne délire pas. Je t’en prie, fais en sorte qu’on ne sache pas que j’ai tenté de me tuer.

— Personne ne le dit. Seulement j’espère que tu ne te blesseras plus par hasard ? dit-elle avec un sourire interrogateur.

— Probablement non, mais il aurait mieux valu… Et il sourit d’un air sombre.

Malgré ces paroles et ce sourire qui avaient tant effrayé Varia, quand, l’inflammation passée, il fut en voie de guérison, il se sentit délivré d’une partie de son malheur. Par cet acte, il s’était pour ainsi dire lavé de la honte et de l’humiliation qu’il éprouvait auparavant. Maintenant il pouvait penser avec calme à Alexis Alexandrovitch. Il reconnaissait toute sa grandeur d’âme et ne se sentait plus humilié. En outre, il se retrouvait dans l’ancien sentier de la vie ; il voyait la possibilité de regarder en face les hommes, sans honte, et de pouvoir vivre comme autrefois. La seule chose qu’il ne pouvait arracher de son cœur, bien qu’il luttât sans cesse contre ce sentiment, c’était le regret désespéré de l’avoir perdue pour toujours. Le fait que maintenant qu’il avait racheté sa faute, il devait renoncer pour toujours à elle et ne plus se mettre entre elle repentante et son mari, était fermement résolu dans son cœur, néanmoins il ne pouvait en arracher le regret de la perte de son amour.