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était plus ou moins bonne. Lévine avait absolument perdu la notion du temps, il ne se rendait pas compte de l’heure qu’il pouvait être. Dans son travail maintenant il s’était produit un changement dont il éprouvait un vif plaisir ; par moments, il cessait d’avoir conscience de ce qu’il faisait ; il éprouvait alors une sensation de bien-être et c’était précisément à ce moment-là que son rang était presque aussi bien fauché que celui de Tite. Mais aussitôt qu’il songeait à sa besogne et s’efforcait de s’y appliquer, il se sentait fatigué et son ouvrage était mal fait.

Son rang terminé, il voulut retourner en commencer un autre, mais Tite s’arrêta et s’approcha du vieux paysan auquel il dit quelques mots à voix basse. Tous deux regardèrent le soleil. « De quoi parlent-ils donc et pourquoi ne commencent-ils pas un nouveau rang ? » pensa Lévine, oubliant que les paysans fauchaient depuis près de quatre heures et qu’il était temps de déjeuner.

— Il est temps de déjeuner, not’ maître, dit le vieux.

— Déjà ? Eh bien ! allons déjeuner.

Lévine remit sa faux à Tite et, avec d’autres paysans qui allaient vers leurs cafetans, pour prendre leur pain, à travers les longs rangs coupés, humides de pluie, il se dirigea vers son cheval. Seulement alors il s’aperçut qu’il n’avait pas bien prévu le temps et que le foin serait mouillé.