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ment de diminuer ses souffrances, mais aussi de faire naître en lui un calme moral tel qu’il n’en avait encore jamais éprouvé. Subitement la source de ses souffrances s’était transformée en une source de joie morale. Tout ce qu’il regardait comme inextricable dans sa haine et sa colère, lui paraissait simple et clair, maintenant qu’il pardonnait et aimait. Il avait pardonné à sa femme et il avait pitié d’elle en raison de ses souffrances et de son repentir. Il avait pardonné à Vronskï et il le plaignait, surtout depuis qu’il avait appris son acte de désespoir. Il plaignait aussi maintenant son fils plus qu’auparavant et se reprochait de l’avoir négligé. Mais pour l’enfant nouveau-né, il éprouvait un sentiment particulier, fait d’un mélange de pitié et aussi de tendresse. D’abord, sous l’impulsion de la pitié seule, il s’était occupé de cette petite créature faible, qui n’était pas sa fille et qui, abandonnée pendant la maladie de sa mère, serait probablement morte s’il n’eût pris soin d’elle. Et il ne remarquait pas lui-même combien il l’aimait. Plusieurs fois par jour, il venait dans la chambre des enfants et y passait de longs moments, de sorte que la nourrice et la bonne, d’abord intimidées, s’habituèrent peu à peu à sa présence. Parfois, durant une demi-heure, il regardait en silence le petit visage rouge et plissé de l’enfant ; il observait les plis de son front et de ses sourcils et ses petits poings potelés, avec lesquels il se frottait les yeux