Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol16.djvu/210

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tait chez celui-ci un certain embarras, il lui semblait même remarquer comme une crainte imperceptible dans son regard : il paraissait avoir peur que Lévine ne le comprît ; mais son opposition n’altérait en rien sa gaîté ni sa belle humeur.

À l’heure présente, en raison des désillusions que lui causait l’exploitation, Lévine ressentait un plaisir particulier à aller chez Sviajskï.

En dehors de la joie intense qui émanait de ce ménage heureux et content et de leur intérieur confortable, il éprouvait le désir très vif, augmenté encore par le dégoût que lui inspirait sa propre vie, de surprendre le secret auquel Sviajskï devait son existence heureuse et exempte de difficultés. En outre, Lévine savait qu’il rencontrerait là des voisins de Sviajskï, des propriétaires, il prévoyait que la conversation aurait pour thème inévitable la récolte ou les ouvriers et ces sujets l’intéressaient particulièrement en ce moment, malgré leur apparente banalité.

« À l’époque du servage, ou peut-être encore en Angleterre, on n’eût attaché à cela qu’une faible importance ; dans ces deux cas, en effet, la situation était suffisamment nette pour qu’il fût inutile de la préciser. Mais chez nous, au milieu de la crise de transformation que nous traversons, il est du plus haut intérêt de prévoir la solution que l’avenir réserve à ces questions. » Telles étaient les pensées que Lévine agitait en son esprit.