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— C’est le meilleur moyen, intervint Strémov. Ce dernier était un homme d’une cinquantaine d’années, grisonnant, mais encore vert ; bien que laid, son visage était original et intelligent. Lisa Merkalova était la nièce de sa femme et il passait avec elle tous ses moments de loisir. Il était, dans le service, l’adversaire d’Alexis Alexandrovitch, mais en homme intelligent, il affectait, en recontrant Anna dans le monde, de se montrer particulièrement courtois avec elle.

— Ne rien faire, dit-il en souriant finement, est bien le meilleur moyen. Je vous l’ai dit depuis longtemps, poursuivit-il, s’adressant à Lisa Merkalova, le plus sûr moyen de ne pas s’ennuyer, c’est de ne pas penser qu’on s’ennuiera ; de même que si l’on souffre d’insomnie, il ne faut pas avoir l’idée qu’on ne dormira pas. C’est ce qu’Anna Arkadievna vient à l’instant de vous dire.

— Certes, je serais ravie d’avoir réellement dit cela, car c’est non seulement spirituel, mais absolument vrai, répondit Anna en souriant.

— Non, expliquez-moi pourquoi l’on éprouve autant de difficulté ou pour s’endormir ou pour ne pas s’ennuyer ?

— Pour s’endormir, il faut travailler, et pour s’amuser, c’est aussi nécessaire.

— Mais à quoi bon travailler, puisque mon travail n’est utile à personne ? Faut-il faire semblant ? Je ne sais pas… je ne veux pas…