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Anna lut le billet et soupira profondément.

— Je n’ai besoin de rien, absolument de rien — dit-elle à Annouchka qui arrangeait sur la toilette les flacons et les brosses. — Va-t’en, je vais m’habiller de suite et sortir : Je n’ai besoin de rien, de rien.

Annouchka sortit, mais Anna ne se mit pas tout de suite à sa toilette ; elle restait assise dans la même attitude : la tête baissée, les bras tombants, et, de temps en temps, un long frisson agitait tout son corps ; elle semblait vouloir faire quelque mouvement ou dire quelque chose : « Mon Dieu ! mon Dieu ! » ne cessait-elle de répéter ; mais ces mots n’avaient pour elle aucun sens. L’idée de chercher un refuge dans la religion, malgré sa foi solide, fruit de son éducation religieuse, lui paraissait aussi folle que d’avoir recours à Alexis Alexandrovitch lui-même.

Elle savait d’avance qu’elle ne pouvait espérer aucun secours de la religion qu’à la condition de renoncer à ce qui faisait la raison d’être de sa vie. En outre, elle souffrait et s’épouvantait d’un nouvel état moral qu’elle ressentait pour la première fois : dans son âme tout semblait se doubler comme se doublent parfois les objets devant des yeux fatigués. Par moments elle ne savait plus ce qu’elle devait craindre ni ce qu’elle devait désirer. Était-ce le présent ou l’avenir ? En somme que désirait-elle exactement, elle ne le savait pas.