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les inscriptions eugubines qu’il avait commencé. Au-dessus du fauteuil était suspendu au mur, dans un cadre doré de forme ovale, un superbe portrait d’Anna fait par un peintre célèbre ; Alexis Alexandrovitch le regarda. Deux yeux impénétrables répondirent à son regard et il crut y distinguer une nuance d’ironie mêlée d’insolence, comme le soir de leur explication. La dentelle noire qu’elle avait sur la tête et qui avait été admirablement exécutée par le peintre, les cheveux noirs et la belle main blanche aux doigts chargés de bagues, tout cela causait à Alexis Alexandrovitch une vive émotion, lui semblait impertinent et provocant. Il fixa le portrait une minute et tressaillit si fort que ses lèvres en eurent un frémissement sonore, et il se détourna. Il s’assit vivement dans le fauteuil et ouvrit le livre. Il essaya de lire, mais malgré tous ses efforts il ne pouvait ressaisir l’intérêt autrefois très vif qu’il trouvait aux inscriptions eugubines. Il regardait les lignes et pensait à autre chose. Il ne pensait pas à sa femme mais à une complication survenue dernièrement dans ses fonctions d’État, et qui, dès lors, était devenue l’intérêt principal de son service. Il se rendait compte que maintenant mieux que jamais il pénétrait cette complication ; il concevait en effet, dans son esprit — il pouvait le dire sans fausse modestie — l’idée capitale, capable de dénouer toute cette affaire et de l’élever dans la carrière en abaissant du même coup ses ennemis ;